GUY ROUSSEAU
Depuis quand travailles-tu à la Société Saint-Jean-Baptiste et quel rôle y occupes-tu?
Je travaille à la Société Saint-Jean-Baptiste depuis 1983. J’ai commencé comme responsable des plans d’action. Je suis maintenant directeur général, depuis une vingtaine d’années environ. Quelle que soit l’organisation, un directeur général donne la note, mais il faut qu’il donne la bonne. Un coup la note donnée, les autres joueurs s’accordent et créent une composition à partir de celle-ci, chacun contribuant à sa manière. C’est peut-être le rôle le plus important que je me donne.
Quel est l’historique de la Société Saint-Jean-Baptiste?
La Société Saint-Jean-Baptiste a été fondée en 1834 par Ludger Duvernay à l’époque des Patriotes, alors que le Bas-Canada était en conflit avec le Haut-Canada. Fait intéressant, Ludger Duvernay a travaillé à Trois-Rivières comme imprimeur et c’est lui qui a lancé le premier « Journal des Trois Rivières ». Il est ensuite allé vivre à Montréal, où il a également travaillé en imprimerie et lancé un journal. C’était un militant très actif. Lors de cette période de révolution, il a réuni tous les gens notables et ils ont instauré la fête nationale. Ils ont créé un mouvement. L’objectif de cette organisation était de défendre les intérêts du Québec dans tous les domaines : économique, culturel, social, etc. Par la suite, ils se sont entourés de partenaires à travers la province. En Mauricie, les premières archives datent de 1848, ce qui fait de la SSJB l’un des plus vieux organismes au Québec.
En 1944, il n’y avait pas de compagnies d’assurances québécoises. De plus, les familles n’avaient pas les moyens de se payer une assurance. La plupart du temps, lorsque survenait de la mortalité dans une famille, on n’avait pas suffisamment d’économies pour couvrir les frais funéraires et on devait s’endetter. Pour remédier à cette situation et venir en aide aux familles dans le besoin, on a formé un groupe d’entraide, par paroisse, le Cercle des Philanthropes. Chaque groupe (cercle) était constitué de 1 000 personnes. Lorsqu’un membre du groupe décédait chacun versait 1 $ qu’on remettait à la famille pour lui permettre de payer des funérailles décentes pour le défunt. C’est devenu très populaire. En 1960, juste en Mauricie, nous avions plus de 30 000 membres. À partir de là, l’organisation s’est vraiment structurée. Dès lors, une dizaine de personnes travaillent à temps plein pour la SSJB.
En résumé, l’objectif de la SSJB est de défendre les intérêts du Québec et le service d’assurance vient financer cette organisation à but non lucratif.
Quels sont les objectifs et la mission principale de la SSJB ?
La SSJB de la Mauricie travaille toujours à l’avancement des intérêts culturels, économiques, éducatifs, politiques et sociaux de ses membres et dans tout le Québec. Elle s’occupe de la promotion et de la valorisation de la langue française et organise la fête nationale. Elle pilote aussi des dossiers sur la protection du patrimoine culturel ou historique et sur la souveraineté du Québec (p. ex. : pourquoi le Québec est ce qu’il est, la fierté nationale, l’histoire, les ressources naturelles, la question identitaire).
La SSJB prône l’achat local et encourage le développement endogène, c’est-à-dire où les communautés prennent en main leur propre développement. Finalement, elle distribue des bourses et des prix dans la communauté auprès de ceux qui s’impliquent et qui font la promotion de la langue française.
Pour quelle(s) raison(s) la SSJB a-t-elle envisagé d’acheter une librairie indépendante?
Dans un premier temps, nous voulions diversifier notre portefeuille. Dans un second temps, nous cherchions un secteur d’activité qui nous permettrait de nous impliquer dans le développement régional. Cette occasion s’est présentée à nous alors qu’André Poirier allait prendre sa retraite. Nous avons étudié sérieusement son offre, ce qui nous a permis de constater qu’une librairie indépendante s’intégrerait parfaitement dans la poursuite de notre mission. Le livre permet d’élargir ses horizons, de développer des idées nouvelles. C’est également la raison pour laquelle nous étions très heureux d’ouvrir une succursale à Shawinigan. La Librairie Poirier fait bien plus que simplement vendre des livres, elle est un partenaire du développement régional et local.
Y a-t-il une différence entre ta vision de ce qu’était le métier de libraire avant de nous côtoyer comparativement à maintenant ?
Oui et non. En fait, ça va plus loin que mes attentes. Je m’aperçois qu’il y a des possibilités énormes pour des gens qui ont une certaine vision du développement et qui considèrent la librairie comme un outil fondamental qui accompagne la communauté. Je dois avouer que du côté organisationnel, nous étions plutôt ignorants. C’est un commerce qui est très exigeant d’un point de vue de la logistique. Il y a une pléiade de professionnels qui se cachent derrière un processus rigoureux avant qu’un livre se retrouve sur un présentoir de la librairie. Je n’étais pas étonné qu’il y ait des étapes, mais j’ai été ébahi par l’importance de la gestion structurelle d’une librairie. Il faut de la rigueur et c’est aussi exigeant que n’importe quel commerce, sauf que nous vendons de la connaissance, de l’information, des histoires. Je suis convaincu que la librairie joue un rôle dans l’innovation et dans la richesse de sa communauté.
Pour toi, que représente un livre ?
Certains lisent pour s’évader ou voyager. Moi je lis pour comprendre le monde. C’est un outil d’apprentissage. Je m’inspire de Spinoza. Si tu comprends ce qui se passe, tu es davantage capable de l’accepter ou de le transformer. C’est donc pour cela que je lis principalement des essais. Le livre devient un outil pour effectuer un diagnostic, mais aussi pour identifier des modèles ou des processus pour atteindre nos objectifs. De plus, habituellement, le livre demande davantage de travail et de recherche qu’une publication sur Facebook; il s’agit donc d’une source plus fiable d’information. Toutefois, il faut évidemment en lire plusieurs sur un sujet pour avoir une vue d’ensemble.
As-tu un sujet préféré ?
Comme je le disais, je lis surtout des essais. Je tends à m’endormir sur des romans. Ce qui vient me chercher et qui m’intéresse particulièrement, c’est tout ce qui touche la société et la condition humaine. Que ce soit la qualité de vie de la population, le partage, la richesse, l’égalité entre les hommes et les femmes, l’environnement. J’ai un intérêt particulier pour le vivre-ensemble, pour les structures, les organisations, les institutions. Quelles sont les conditions qui feront en sorte que nous vivions en harmonie ? Pourquoi il y a des conflits entre certains pays, pourquoi certains pays sont pauvres alors que d’autres sont riches ? Les volets qui m’intéressent sont l’organisation sociale, le partage de la richesse et l’innovation.
Quels sont les titres qui t’ont marqué ou que tu as lu récemment ?
D’un point de vue professionnel, dernièrement je lis de moins en moins de livres sur les diagnostics et davantage de livres sur les processus de changement. Je lis encore des livres sur la pauvreté dans le monde, mais je connais déjà toute la tristesse qui en découle et le désarroi qu’elle engendre. Actuellement, ce qui m’intéresse, c’est de savoir comment l’éviter, comment changer les choses. J’ai d’ailleurs une formation de 2e cycle en diagnostic et intervention dans les organisations, ce qui fait en sorte que j’ai développé une préoccupation pour les processus de changement. J’ai lu notamment, La gestion stratégique du changement de Michel Arcand à ce sujet. De plus, je vais lire surtout des livres qui touchent aux sciences sociales, à l’économie, à la politique ou à l’environnement. Je suis très préoccupé par la prise en charge de leur développement par les communautés et sur le rôle de l’État, ainsi que la reconnaissance des différentes cultures à travers le monde. Quelques autres titres qui m’ont marqué: Le capital au XXIe siècle de Thomas Piketti, Décadence de Michel Onfray et Sagesse et folie du monde qui vient de Luc Ferry et Nicolas Bouzou.
Aussi, il est évident que la situation du Québec me préoccupe de façon particulière. Donc tout livre qui aborde la question nationale, la langue, l’histoire du Québec, la culture québécoise, la situation économique, le développement régional ou le rôle de l’État, fait nécessairement partie de ma bibliothèque. Tous les livres de Jacques Lacoursière et de Serge Bouchard, Pourquoi la loi 101 est un échec de Frédéric Lacroix, La liberté n’est pas une marque de yogourt de Pierre Falardeau, Les réformistes d’Éric Bédard et un collectif intitulé Histoire intellectuelle de l’indépendantisme québécois, pour n’en nommer que quelques-uns. Sinon, récemment, j’ai lu L’Amérique fantôme de Gilles Havard, très intéressant et L’éthique pour tous… même vous! de René Villemure.
Qu’est-ce qui est dans ta pile à lire ?
Sur ma table de chevet, on trouve des livres qui traitent d’un sujet pas mal actuel. Histoire des pensionnats indiens catholiques au Québec par Henri Goulet, Vivement le socialisme de Thomas Piketty, Les Autochtones : La part effacée du Québec par Gilles Bibeau et Économie utile pour des temps difficiles, d’Abhijit Banerjee et Esther Duflo.
Quel est LE livre que tout le monde devrait avoir lu selon toi ?
Le plus important, le livre que tout le monde doit avoir lu, c’est évidemment celui qui va vous donner le goût de lire. Que ce soit de la bande dessinée, du roman, de la poésie ou un essai, tomber en amour, c’est inexplicable. Les suggestions que je vais faire sont les bonnes pour moi, mais ça ne veut pas dire que c’est pour tout le monde. Le plus récent qui m’a surpris et que j’ai trouvé brillant, c’est le livre Sapiens de Yuval Noah Harari.
Un livre d’un point de vue social et politique qui m’a fortement interpellé et qui a changé ma vie, est Nègres blancs d’Amérique de Pierre Vallières. Sinon, ma formation en théologie qui a nécessairement développé un aspect plus spirituel de ma personnalité, m’a amené à lire plusieurs ouvrages, mais l’un de ceux qui m’ont particulièrement marqué est Théologie de la libération par Gustavo Gutiérrez, qui offre une nouvelle lecture de l’histoire des Évangiles, mettant en lumière le processus de libération et non de conversion. (Malheureusement, ce livre n’est plus en circulation pour la vente, mais il est probablement possible de le trouver dans une bibliothèque publique.) Je pourrais dire que ces deux livres ont eu un impact majeur sur mon parcours de lecteur.
Envie d’ajouter quelque chose ?
Je dois dire qu’à la Librairie Poirier, nous avons une équipe exceptionnelle. C’est vrai et je peux le dire pas seulement parce que c’est moi le boss ! Nous sommes une organisation qui se veut un partenaire du développement régional et donc, ce qui nous importe, c’est l’excellence. Je trouve qu’actuellement nous avons une équipe qui a le potentiel pour atteindre l’excellence, tant par son expertise organisationnelle qu’intellectuelle. Nous avons l’avantage d’avoir des étudiants qui viennent du département de littérature de l’université, d’autres employés qui viennent de différents horizons. Tout ce monde forme un ensemble doté de compétences complémentaires, qui, en plus d’être une équipe dévouée, est préoccupée par les valeurs de notre organisation. Je ne pense pas me tromper en disant que nous avons le plus gros inventaire dans la région en termes de diversité, car nous avons des livres qui couvrent une grande variété d’intérêts. Nous sommes des spécialistes du livre et l’expertise est au cœur de l’organisation.